A Gaza, la nuit déchirée par les bombes israéliennes
Dans la bande de Gaza : « Je n'ai aucun espoir de m'échapper d'ici ! »
Des Palestiniens tentent de passer la frontière entre la bande de Gaza et l'Egypte, pour se rendre en Egypte, à Rafah, le 10 juillet. | EMAN MOHAMMED POUR "LE MONDE"
Il est 16 heures et c'est leur dernière chance de fuir. Dans une heure, le poste-frontière de Rafah, unique porte de sortie de la bande de Gaza vers l'Egypte, sera à nouveau fermé.
Walaa pleure, écrasée par le découragement. La jeune femme de 22 ans a fait ses valises, jeudi 10 juillet au matin, dès qu'elle a appris que le gouvernement égyptien ouvrait sa frontière avec Gaza à ses ressortissants et aux Palestiniens blessés durant les trois premiers jours de l'offensive israélienne « Bordure protectrice ».
Egyptienne par sa mère, elle a voulu saisir cette chance pour sortir du territoire et« ne jamais revenir », après la nouvelle nuit de bombardements qui a touché son quartier de Tal Al-Hawa, à Gaza-Ville. Le matin, elle était parvenue à remplir toutes les formalités du côté palestinien de la frontière. Son nom était même inscrit sur la liste des sortants, côté égyptien. Ne manquait plus que le feu vert des gardes-frontières. Mais en fin de matinée, le couperet est tombé : sa double nationalité – palestinienne et égyptienne – lui interdit de sortir. Seuls les natifs d'Egypte auront cette chance. « Nous avons appelé le ministère des affaires étrangères au Caire, mais ils n'ont que faire de nous, s'insurge Walaa. Ça ne les intéresse pas qu'on meure à petit feu. »
« JE REFUSE DÉSORMAIS D'OPÉRER » A Rafah, près d'un millier de Palestiniens ont essayé, jeudi, de traverser la frontière égyptienne, devenue quasi-infranchissable. Depuis la prise de pouvoir, il y a un an, du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi en Egypte, le terminal de Rafah n'a ouvert qu'épisodiquement pour laisser passer des convois humanitaires, renforçant la sensation d'enfermement des Gazaouis, déjà soumis au blocus israélien. En mars, le Hamas au pouvoir à Gaza avait qualifié de « crime contre l'humanité » la fermeture quasi-permanente de l'unique frontière qui n'est pas contrôlée par Israël.
Dans une ambulance, Zeinab, 51 ans, attend, grise de fatigue. Habitante de Rafah, elle raconte, d'une voix faible, la déflagration vers 2 heures du matin et le toit de la maison qui s'effondre sur elle, lui cassant les deux jambes. A son bras, on peut encore voir les traces du cathéter retiré précipitamment avant le trajet vers le poste-frontière. Zeinab fait partie des 21 blessés des bombardements israéliens à avoir été transférés, jeudi, vers les hôpitaux situés dans le nord du Sinaï, en Egypte.
Une dizaine de Palestiniens ont également été évacués vers une clinique de Haïfa, dans le nord d'Israël. Depuis lundi soir, les frappes israéliennes ont fait plus de 95 morts, en grande majorité des civils, et 500 blessés.
Des Palestiniennes attendent à l’intérieur d'une ambulance alors qu'elles tentent de passer la frontière entre la bande de Gaza et l'Egypte, pour se rendre en Egypte, à Rafah, le 10 juillet. Les autorités égyptiennes ont ouvert la frontière pour laisser passer les Palestiniens blessés afin qu'ils puissent se faire soigner dans les hôpitaux du pays. | EMAN MOHAMMED POUR "LE MONDE"
Après trois jours de frappes aériennes, les hôpitaux de Gaza, croulent sous le poids des blessés. A l'hôpital Al-Shifa, le docteur Ayman Al-Sahabani, les traits creusés, égrène la longue liste des produits manquants : pansements, bandages, cathéters, sets de suture et même de simples gants chirurgicaux : « Je refuse désormais d'opérer, sauf en cas de nécessité absolue », avoue le chef des urgences. Derrière lui, les draps verts des lits des blessés n'ont pas été changés depuis plusieurs jours.
REFOULEMENT DES PALESTINIENS Selon le ministère de la santé gazaoui, un tiers des médicaments de base commencent à manquer, dont des antibiotiques et anesthésiques. La pénurie d'essence – problème récurrent à Gaza depuis la destruction en 2013 des tunnels de contrebande vers l'Egypte – immobiliserait une ambulance sur deux : « Dans de telles conditions, si les frappes israéliennes se poursuivent, nous pouvons tenirencore deux jours. Pas un de plus », avance le porte-parole du ministère de la santé, à Gaza, Ashraf Al-Qadra.
Dans une salle de l'hôpital Shifa, Nabila Kilani regarde dans le vide. Elle vient de quitter à la hâte sa maison de Beit Lahya, située dans le nord de la bande de Gaza, après qu'une fusée « d'avertissement » de Tsahal se soit abattue sur son toit, signe d'un bombardement imminent. Nabila a bien entendu parler de l'ouverture, jeudi, de la frontière égyptienne, mais elle n'a même pas tenté sa chance pour fuir le piège gazaoui : « Je n'ai aucun espoir de m'échapper d'ici », soupire Nabila qui se souvient, avec nostalgie, du temps où elle faisait des allers-retours en Egypte pour « se vider la tête », avant de revenir à Gaza par les tunnels de contrebande. En fin de journée à Rafah, le refoulement des Palestiniens ayant la double nationalité a soulevé un vent de révolte.
Devant l'entrée du terminal égyptien, un employé, paniqué, a fini par tirer plusieurs coups de sommation pour calmer les esprits.
« VA EN ENFER, EGYPTE ! » A l'intérieur du poste, la fébrilité des candidats au départ tranche avec la sérénité de ceux qui ont réussi à passer.
Mouna Khaled en fait partie. Egyptienne de naissance, installée à Gaza depuis son mariage en 2003, elle a quitté avec ses enfants, sa maison située au nord de l'enclave, près d'Erez, le point de passage avec Israël, où se regroupent des chars en vue d'une éventuelle attaque terrestre :« Il n'y a pas d'endroits pour se cacher. Nous sommes en danger partout et à tout moment. La seule possibilité d'en réchapper, c'est de franchir Rafah. »
L'opération israélienne attise le ressentiment des Gazaouis envers le gouvernement du maréchal Sissi, jugé coupable de participer au bouclage de la bande de Gaza. Au terme d'une longue journée d'angoisses, Khaled Al-Shaen, 45 ans, pourtant détenteur de la nationalité canadienne et d'un visa égyptien, accuse :« Pourquoi les Egyptiens ne nous laissent-ils aucune chance de survivre ? »
Sur les réseaux sociaux de Gaza, un mot d'ordre lapidaire – « Va en enfer, Egypte ! » – se répand pour dénoncer l'« indifférence » du voisin égyptien face au drame gazaoui. Au final, près de 250 personnes, seulement, auraient réussi à franchir, jeudi, la frontière égyptienne.
Walaa, la jeune femme de 22 ans, n'a pas eu cette chance : « Je retourne à Gaza me fairetuer », avance-t-elle, glaciale et résignée.
Pour la Turquie, « la cruauté doit d'abord prendre fin » à Gaza
Après quatre jours d'offensive israélienne contre le Hamas, dont le dernier bilan est d'au moins 100 morts, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a averti Israël, vendredi 11 juillet, de possibles conséquences diplomatiques. Pour la Turquie, ces attaques constitutent un blocage aux efforts déployés pour améliorer les relations des deux pays depuis l'affaire de la flottille de la paix en 2010.
« La cruauté doit d'abord prendre fin (…) Tant que cela n'est pas le cas, il n'est pas possible qu'une normalisation des relations entre la Turquie et Israël puisse s'accomplir », a-t-il déclaré, appelant à un cessez-le-feu, comme les Etats-Unis.
« AGRESSION ISRAÉLIENNE » Par ailleurs, les Emirats arabes unis, riche pays pétrolier du Golfe, ont annoncé avoir porté à 52 millions de dollars (38 millions d'euros) leur aide humanitaire à destination des Palestiniens de la bande de Gaza.
Cette assistance est destinée à« soutenir la résistance du peuple palestinien frère, cible d'une agression israélienne contre la bande de Gaza », selon l'agence de presse officielle Wam.
Outre une aide de 25 millions de dollars (18 millions d'euros), annoncée jeudi au nom du chef de l'Etat, Khalifa Ben Zayed Al-Nahyane, le Croissant-Rouge émirati a pour sa part apporté une aide de 100 millions de dirhams (20 millions d'euros) aux habitants de la bande de Gaza, a rapporté Wam tard dans la soirée jeudi 10 juillet.
Le Croissant-Rouge émirati, qui supervisera l'acheminement de l'aide humanitaire, a été également chargé d'installer et d'équiper un hôpital de campagne dans la bande de Gaza.
Dernière modification par edenmartine ; 11/07/2014 à 13h23.
A Gaza, des raids israéliens intensifs depuis une semaine
Des missiles s’écrasent sur la ville de Gaza, le 9 juillet. | AP/Hatem Ali
Le conflit s'accentue de jour en jour entre Israël et le Hamas. Les bombardements dans la bande Gaza par Israël et les tirs de roquette du Hamas se poursuivent pour la septième journée consécutive, lundi 14 juillet.
Dans ce contexte, le président palestinien, Mahmoud Abbas, en appelle à l'Organisation des Nations unies (ONU), tandis qu'Israël brandit toujours la menace d'une intervention terrestre avec la mobilisation potentielle de 30 000 réservistes. Selon les autorités palestiniennes, l'offensive israélienne a fait au moins 160 morts, dont 135 civils, et un millier de blessés.
Ce conflit est le plus meurtrier depuis l'opération « Pilier de défense », en novembre 2012, qui avait déjà pour objectif de fairecesser les tirs de roquette de Gaza. Les hostilités avaient provoqué la mort de 177 Palestiniens et de 6 Israéliens en une semaine.
Des milliers de Palestiniens fuient le nord de Gaza
Les ruines d'une maison à Rafah. | AP/Khalil Hamra
Israël a lancé dès lundi à l'aube de nouveaux raids aériens et des tirs d'artillerie sur la bande de Gaza dans le but annoncé de neutraliser le Hamas et ses tirs de roquette. Ces nouvelles frappes ont atteint notamment des installations des brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche militaire du Hamas, mais n'ont pas fait de victime.
La veille, l'armée israélienne avait appelé les habitants de plusieurs localités du nord de la bande de Gaza à évacuer leur domicile. L'aviation a dispersé des tracts exhortant les civils à quitter« immédiatement » la région et à se tenir loin des« activistes du Hamas » :
« L'armée israélienne a l'intention d'attaquer les infrastructures terroristes. L'opération sera limitée dans le temps. Ceux qui ne respecteront pas les instructions mettront en danger leur vie et celle de leur famille.
Des milliers d'habitants ont fui le nord de Gaza en voiture, à dos d'âne, à pied ou en charrette à cheval, emportant ce qu'ils pouvaient.
En fin de journée, l'agence de l'ONU chargée des réfugiés Palestiniens (UNRWA) comptait 17 000 personnes réfugiées dans ses installations. Du côté de la Cisjordanie, par contre, un Palestinien a été tué au sud d'Hébron par des forces israéliennes, a annoncé sa famille lundi matin. La victime, Mounir Ahmed Badarin, était âgée d'une vingtaine d'années. Ses proches précisent que le jeune homme a été atteint par des tirs lors d'affrontements à Al-Samoua, et est mort plus tard à l'hôpital.
Explosions à Gaza, le 13 juillet 2014. | REUTERS/AMMAR AWAD
De nouvelles roquettes ont été lancées dans la nuit de dimanche à lundi du sud du Liban en direction du territoire israélien – troisième attaque de ce genre depuis vendredi –, entraînant des tirs de représailles. Les tirs n'ont pas été revendiqués, mais le général Motti Almoz, a déclaré :
« Certains, en face, cherchent à faire monter la tension à la frontière. Cela ne nous surprend pas, nous nous y étions préparés, nous savions que les combats de Gaza auraient des retombées dans d'autres secteurs. »
Ces tirs n'ont fait ni dégât ni victime, au vu des premières informations recueillies. Une autre roquette, tirée de Syrie cette fois, est tombée dimanche soir sur le Golan, région occupée par Israël, avait annoncé l'armée israélienne, qui n'a recensé aucune victime.
Dimanche, une fusillade a aussi éclaté entre des combattants du Hamas et des membres d'un commando israélien pour la première fois depuis le début de l'opération militaire. Quatre soldats israéliens ont été « légèrement blessés ». Les brigades Ezzedine Al-Qassam ont confirmé « des échanges de feux nourris »avec des marins israéliens « dans la zone de Sudanyia ».
Mahmoud Abbas demande à l'ONU de placer la Palestine sous « protection internationale »
A la suite de la détérioration de la situation dans la bande de Gaza, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a demandé à l'ONU de placer l'Etat de Palestine sous la « protection internationale » des Nations unies. M. Abbas réclame aussi la création immédiate d'une commission d'enquête. « La direction palestinienne est déterminée à prendre des mesures concrètes pour faire face à la situation horrible à Gaza », a souligné Hanane Achraoui, membre du comité exécutif de l'OLP.
Dernière modification par edenmartine ; 14/07/2014 à 07h28.
Nouveaux raids israéliens sur la bande de Gaza, le bilan dépasse les 200 victimes palestiniennes
Les restes d'une voiture bombardée par l'armée israélienne à Rafah, le 15 juillet. | AP/Hatem Ali
Nouveaux raids israéliens dans la bande de Gaza ont tué trois personnes dans la nuit de mardi au mercredi 16 juillet, au neuvième jour de la nouvelle opération militaire d'Israël menée contre le Hamas. Les médecins palestiniens indiquent que le nombre de victimes de ces bombardements est désormais de 202 morts, en grande majorité des civils, et que près de 1 500 personnes ont été blessées. Dans ses derniers bombardements, l'armée israélienne a notamment visé les domiciles de plusieurs responsables du Hamas, conformément à sa promesse après le rejet d'un cessez-le-feu par le mouvement islamiste qui contrôle l'enclave palestinienne.
Les avions de combat israélien ont visé à Gaza City l'habitation de Mahmoud al-Zahar, touchée par au moins deux missiles mais vide au moment des frappes, et celle de Bassem Naim.
Les frappes israéliennes ont aussi touché les habitations de l'ancien ministre de la Santé Fathi Hammad et du député du Hamas Ismail al-Ashqar, à Jabalia.
Israël avait déjà repris ses raids mardi après-midi, en réponse à des dizaines de tirs « aveugles » de roquettes du Hamas, dont deux ont été détruites en vol au-dessus de Tel-Aviv. Peu de temps après, un Israélien était tué par un tir de roquette au passage d'Erez entre Israël et Gaza, la première victime israélienne depuis le début le 8 juillet de l'offensive aérienne contre Gaza et l'intensification des tirs palestiniens. Dans la journée de mardi, plus de 100 roquettes et obus ont encore atteint Israël, dont l'une a visé la région de Haïfa, à 160 km au nord de Gaza. En huit jours, 960 projectiles ont touché Israël selon l'armée.
Israël n'a pas pour autant encore déclenché d'opération terrestre bien que l'armée ait ostensiblement déployé des troupes d'infanterie et des chars aux abords de Gaza, mobilisant 40 000 réservistes en vue d'une éventuelle invasion, une option qui risque d'être coûteuse en vies humaines
Liberman appelle à reprendre Gaza et dénonce les efforts de trêve
Dans une attaque à peine voilée contre Netanyahu, le ministre des Affaires étrangères fustige ses « tergiversations »
Le ministre des Affaires étrangères a critiqué, mardi, les ministres israéliens qui ont accepté la proposition égyptienne de cessez-le-feu avec le Hamas.
Dans une attaque à peine voilée contre le Premier ministre sur sa manière de gérer la crise, Liberman a appelé Israël à reprendre Gaza. Il affirme qu’une trêve permettrait au groupe terroriste de se réapprovisionner et fabriquer de nouvelles roquettes.
« Un cessez-le-feu est uniquement [un temps] de préparation pour la prochaine escalade de violence », a déclaré Liberman lors d’une conférence de presse à la Knesset, au moment même où la proposition égyptienne pour un cessez-le-feu agonisait.
Le Hamas a continué de tirer des roquettes, une dizaine au total, sur Israël qui, après une pause de six heures, a ordonné la reprise des frappes aériennes sur Gaza.
« Au sujet du rejet total [de la proposition égyptienne], nous devons prendre une décision claire. Toute cette hésitation nous porte préjudice, nous devons aller jusqu’au bout. Il n’y pas d’autres alternatives possibles », déclare Liberman, minant ainsi l’approche de Netanyahu sans pour autant mentionner le nom du Premier ministre.
Le ministre des Affaires étrangères, qui dirige aussi le parti Israël Beytenu, affirme qu’une invasion à grande échelle de la bande de Gaza est nécessaire pour renverser le gouvernement du Hamas. « Le résultat final de cette opération serait que l’armée israélienne contrôle Gaza ».
Mardi matin, Israël a annoncé qu’il acceptait la proposition de cessez-le-feu et qu’il cesserait unilatéralement les frappes aériennes sur Gaza. Cependant, peu de temps après, le Hamas a déclaré qu’il rejetait l’accord et a continué de lancer des roquettes sur tout le pays.
Liberman et le président de Habayit Hayehudi, Naftali Bennett, étaient les seuls membres du cabinet de sécurité à voter contre la proposition pour le cessez-le-feu. Le ministre des Affaires étrangères a souligné qu’en quittant Gaza, Israël avait agi comme la scène internationale lui avait demandé de le faire. Il est revenu aux frontières d’avant 1967 et a donné le territoire au président Mahmoud Abbas de l’Autorité palestinienne. Qu’il soit tombé dans les mains d’Abbas, affirme Liberman, soulève des questions inquiétantes. « Nous avons retiré nos résidents ; évacué toutes les implantations », indique Liberman. « Nous devons le dire au monde, vous nous avez obligés à faire ça. Maintenant, vous devez nous soutenir pour qu’on aille jusqu’au bout… Nous devons mettre fin à ce conflit avec l’armée qui reprendrait le contrôle de Gaza… Il n’y a pas d’autres moyens de s’attaquer au Hamas et au Jihad islamique qui domine Gaza ».
Les déclarations de Liberman contredisent celles qu’il a faites par le passé sur l’invasion israélienne de la bande de Gaza. Elles semblent davantage être une attaque personnelle contre Netanyahu. Ces propos sur les « tergiversations » sont une référence évidente à la réticence du Premier ministre à ordonner une offensive terrestre.
Lundi dernier (8 juillet 2014), Liberman a officiellement retiré son parti, Israël Beytenu, de la coalition avec le parti de Netanyahu, le Likud. Les deux partis s’étaient associés pour présenter une liste commune aux élections l’année dernière. Liberman a invoqué des différences d’opinion entre lui et le Premier ministre sur la réponse à apporter aux tirs de roquettes de la bande de Gaza pour justifier cette séparation. Pourtant, le 22 novembre 2012, le lendemain de la signature d’un accord de cessez-le-feu qui a mis fin à l’opération Pilier de défense – huit jours de campagne sans aucune attaque terrestre – Liberman avait loué la décision du gouvernement.
« Nous savons prendre des décisions qui servent l’intérêt national », avait-il déclaré à l’époque. « La force ce n’est pas uniquement frapper mais aussi [savoir] exercer de la retenue ». La décision du cabinet d’accepter le cessez-le-feu a été sévèrement critiquée par de nombreux députés de la coalition. Beaucoup d’entre eux ont fait écho à l’appel de Liberman de reprendre la bande de Gaza. Le ministre de la Communication, Gilad Erdan, a déclaré que le rejet de l’accord par le Hamas « révèle au monde que le Hamas n’a qu’un seul but, et c’est de tuer autant d’Israéliens que possible ». Erdan a exhorté l’armée à envahir la bande de Gaza, et à débarrasser l’enclave côtière de l’influence du Hamas.
« Israël doit écraser les infrastructures du Hamas et nous ne devons pas nous arrêter jusqu’à ce que le travail soit fini, jusqu’à ce que les tirs sur les citoyens israéliens s’arrêtent complètement et que la bande de Gaza soit démilitarisée de toutes les roquettes et des tunnels », a-t-il affirmé.
Plus de cinquante roquettes ont été tirées sur le territoire israélien dans les heures qui ont suivi l’annonce de la proposition du cessez-le-feu. Ces tirs ont poussé l’armée à reprendre ces frappes dans la bande de Gaza. « Après six heures d’attaques unilatérales du Hamas, l’armée a repris ses activités opérationnelles dans la bande de Gaza », déclare le porte-parole de l’armée israélienne, Peter Lerner. Netanyahu, pour sa part, a ordonné à l’armée d’ « agir fermement contre les cibles terroristes de Gaza ».
Plus d’un tiers de la population a été privé d’eau potable mardi 15 juillet plusieurs heures durant à cause de dégâts provoqués par des bombardements sur les infrastructures hydrauliques.
Une Palestienne transporte des bouteilles d’eau vides, afin de les remplir, à Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza, à proximité de l’école des Nations unies où elle a trouvé refuge, le 16 juillet 2014.
La crainte d’une crise durable s’installe, alors que les ressources d’eau potable de Gaza étaient déjà surexploitées. À la pénurie de nourriture et à l’envol des prix s’ajoute le risque d’une crise pérenne de l’eau dans la bande de Gaza. Au dixième jour des frappes aériennes israéliennes, près de 600 000 Gazaouis se sont trouvés à court d’eau potable à cause des bombardements, ont souligné mardi 15 juillet plusieurs associations humanitaires.
« LE CIRCUIT HYDRAULIQUE A ÉTÉ TOUCHÉ À DIX-HUIT ENDROITS » La situation, qui n’est que très partiellement rétablie, leur fait craindre une crise beaucoup plus persistante. « Dans quelques jours, c’est l’ensemble de la population qui risque de manquer désespérément d’eau », a dénoncé mardi Jacques de Maio, le chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en Israël et dans les Territoires occupés. « Si les hostilités ne s’arrêtent pas, le problème ne consistera pas à savoir si, mais quand une population déjà épuisée souffrira d’une grave pénurie d’eau. » L’opération « Bordure protectrice » a causé des dégâts considérables sur les fragiles infrastructures hydrauliques, particulièrement dans le sud du territoire. « L’approvisionnement en eau de plus de 31 000 Gazaouis a été très fortement altéré, voire anéanti dans les villes de Gaza, Khan Younis et Beit Hanoun. » souligne Paolo Lubrano, le directeur pays d’Action contre la faim en territoire palestinien occupé. « Le circuit hydraulique a été touché à dix-huit endroits : beaucoup de puits sont détruits, les dommages sont terribles. »
LES ASSOCIATIONS HUMANITAIRES S’ORGANISENT La situation est exacerbée par l’intensification des frappes, qui empêchent les techniciens et les experts de procéder à des réparations essentielles sur le réseau. La mort de plusieurs d’entre eux a poussé le service de distribution d’eau à suspendre toutes les interventions sur le terrain, tant que la sécurité de son personnel ne pouvait être garantie. Les associations humanitaires s’organisent donc de leur côté pour pallier la menace d’une grave pénurie. Ils distribuent des bouteilles, acheminent des tuyaux de fortune pour reconnecter les municipalités au circuit. Mais leur budget leur permet de traiter à peine plus d’un tiers des besoins, selon Paulo Lubrano.
DES RÉSERVES D’EAU « DE PLUS EN PLUS CONTAMINÉE » Dans l’urgence, les eaux usées des usines de traitement endommagées ont dû être rejetées dans la mer, surexposant la population aux maladies. Le système d’assainissement de Gaza est une problématique de santé publique majeure antérieure au conflit : 90 % de l’eau de la bande est polluée et ne peut être bue. Comme l’a souligné un rapport de la banque mondiale et du programme pour l’Environnement des Nations unies (Unep) publié en 2012, Gaza, du fait de ses faibles précipitations, dépend presque complètement de son aquifère côtier, une formation géologique composée de roche perméable capable de retenir l’eau. Or l’eau, située à environ 300 mètres de profondeur, « est de plus en plus contaminée par les nitrates des eaux usées non contrôlées », souligne le rapport, selon lequel la pollution de l’aquifère pourrait le rendre inexploitable à horizon 2016.
Dis jours après le début des violences entre Israël et Gaza, les deux opposants ont décidé d’observer une fragile trêve humanitaire ce jeudi 17 juillet.
Cette trêve devrait permettre d’apporter de la nourriture et des soins à Gaza, alors qu’un raid aérien israélien a fait une nouvelle victime palestinienne à l’aube. Entre Israël et le Hamas, le conflit fait toujours rage. Légère accalmie ce jeudi 17 juillet au matin, les deux opposants s’étant mis d’accord sur une trêve humanitaire réclamée par les Nations unies. Les ONG et l’UNRWA (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) auront donc cinq heures, depuis 10 heures (heure locale, 9 heures à Paris) pour faire parvenir des vivres et des soins aux habitants de l’enclave palestinienne. L’armée israélienne a toutefois prévenu que si le « Hamas ou d’autres organisations terroristes exploitent cette fenêtre humanitaire », elle y « répondrait fermement ».
UNE ENQUÊTE SUR LA MORT DE QUATRE ENFANTS Ce court répit intervient au lendemain de frappes israéliennes ayant tué quatre enfants sur une plage de Gaza-Ville. Ce jeudi matin à l’aube, au moins trois Palestiniens ont également été tués dans un raid aérien, selon les secours de Gaza. L’échec d’un cessez-le-feu proposé par l’Égypte, qu’avait rejeté le Hamas, a entraîné un nouvel échange de tirs nourris entre Gaza et Israël mercredi 16 juillet. L’armée israélienne a indiqué enquêter « consciencieusement » sur la mort des quatre enfants, tout en notant que « selon les résultats préliminaires, les cibles de la frappe étaient du Hamas », une organisation considérée comme « terroriste » par Israël, Washington et l’Union européenne.
DES NÉGOCIATIONS AU CAIRE Depuis le début de l’offensive israélienne le 8 juillet, plus de 220 Palestiniens ont trouvé la mort dans les bombardements. Pour tenter d’enrayer la spirale de violence, des négociations ont toujours lieu entre Palestiniens et Égyptiens au Caire. Le Hamas souhaite que la proposition de trêve inclue l’ouverture des points de passage entre Israël et Gaza et la libération de dizaines de Palestiniens. D’après le site israélien NRG, des « représentants israéliens » devraient se joindre aux discussions au Caire. Arguant du refus d’une trêve par le Hamas, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, avait « intensifié » la campagne militaire contre Gaza. Selon lui, « le Hamas porte toute la responsabilité de la poursuite de la violence ».
UN BLOCUS QUI EMPÊCHE LA FUITE Avant de reprendre ses bombardements contre la bande de Gaza, l’armée israélienne avait appelé mercredi matin par SMS, messages téléphoniques et tracts, quelque 100 000 habitants du nord de l’enclave à quitter les lieux. Mais aucune fuite massive d’habitants n’a été constatée, beaucoup soulignant n’avoir nulle part où aller. La bande de Gaza, qui s’étend sur 362 km² et compte 1,8 million de personnes, une densité de population importante, est en effet soumise à un blocus israélien depuis des années.
LE MONDE | 15.07.2014 à 12h21 • Mis à jour le 16.07.2014 à 16h00 |
« Pluies d'été » en 2006, « Plomb durci » en 2008-2009, « Pilier de défense » en 2012, « Bordure de protection » en 2014 : l'histoire des relations entre Israël et Gaza, depuis que les colons juifs ont été évacués de ce petit territoire côtier en 2005, semble se résumer à une succession d'opérations militaires. A peine un cycle de violences se termine-t-il qu'un nouvel épisode semble en préparation. A qui la faute ? Chacun des protagonistes défend son bon droit, son récit des origines, donnant le tournis aux observateurs. La confusion du public est entretenue par les réactions des chancelleries occidentales. Quand elles ne versent pas dans un soutien quasi explicite à l'opération militaire israélienne, celles-ci se cantonnent à un parallélisme scrupuleux.
LOI DU TALION MODERNE Insensiblement s'impose l'idée qu'Israéliens et Palestiniens sont prisonniers d'une loi du talion moderne. Un atavisme archaïque qui les inciterait à s'étriper à intervalles réguliers. Et dispenserait donc la communauté internationale de toute responsabilité. Pour échapper à ce fatalisme, il faut raconter une autre histoire. L'occupation de la bande de Gaza, contrairement à ce qu'affirme Israël, n'a pas pris fin avec le départ du dernier de ses soldats, le 11 septembre 2005. Comme le rappelle opportunément l'ONG israélienne Gisha sur son site Internet, l'Etat hébreu continue de contrôler des pans entiers de la vie des Gazaouis : le registre d'état civil, les eaux territoriales, l'espace aérien et l'unique terminal commercial.
Une unité d'artillerie israélienne, le 12 juillet à la frontière entre Israël et la bande de Gaza. | AFP/MENAHEM KAHANA
L'armée israélienne interdit à la quasi-totalité des habitants de se rendre en Cisjordanie, en violation des accords d'Oslo, qui faisaient des deux territoires palestiniens une seule et même entité juridique. Les habitants de l'enclave sablonneuse n'ont pas non plus le droit de pénétrer dans la « zone tampon », bande de 500 m à 1 km de large le long de la frontière avec Israël, où ils possèdent souvent des terres agricoles. Ceux qui s'y risquent se font systématiquement tirer dessus. L'anthropologue Jeff Halper, figure du camp de la paix israélien, use d'une métaphore carcérale pour résumer l'effet paradoxal du désengagement de 2005 :« Dans une prison aussi, les détenus contrôlent l'essentiel de l'espace, aime-t-il àdire. Ils ne sont pas libres pour autant. »
APATHIE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE De cet état de fait, la plupart des experts en droit international ont conclu que la bande de Gaza est toujours sous occupation. C'est la position officielle des Nations unies. Un tel statut requiert de l'occupant qu'il assure le « bien-être » de lapopulation occupée. Mais à ces obligations, Israël s'est constamment soustrait. Grâce au renfort de l'Egypte du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, farouchement hostile au Hamas, et à l'apathie de la communauté internationale, le bouclage de Gaza s'est même aggravé. Selon le bureau des statistiques palestinien, le taux de chômage pour les jeunes de 15 à 29 ans y a atteint 58 % durant le premier semestre de cette année. 70 % de la population dépend des distributions d'aidehumanitaire pour sa survie. Les éruptions de violence de 2006, 2008, 2012 et 2014 étaient toutes, directement ou indirectement, liées à l'enfermement des Gazaouis. Un état qui ne remonte pas à l'élection du Hamas, en 2006, mais à la première guerre du Golfe en 1991. C'est à cette date, avant le début des attentats-suicides, que les Palestiniens de Gaza ont perdu le droit de circuler librement.
Toutes les trêves négociées par le passé ont comporté des clauses de levée ou d'allègement du blocus, comme la réouverture du terminal de Rafah, avec l'Egypte, ou l'élargissement de la zone de pêche. Et toutes ont été ignorées, partiellement ou entièrement, par Israël et son allié égyptien. Celle qui est en cours d'élaboration ne fera pas exception. Le Hamas a sa part de responsabilité. Il a lui aussi violé les accords de cessez-le-feu, en important, via les tunnels de Rafah, tout un arsenal de missiles iraniens. Plutôt que de construire des bunkers souterrains, à l'usage exclusif de leurs responsables, les islamistes auraient mieux fait de bâtir des abris antibombes, ouverts à leurs administrés. Saigné par le blocus, le Hamas est tenté, à intervalles réguliers, de redorer son blason de mouvement de « résistance » en défiant Israël.
PROCESSUS D'EXTORSION La seule manière de rompre ce cercle vicieux – et notamment de marginaliser le Hamas – consiste à relancer le processus de paix. Pas un processus d'extorsion régi par la loi du plus fort, ce à quoi la plupart des séances de négociations des vingt dernières années ont ressemblé. Mais des pourparlers sur un pied d'égalité, avec le droit international comme référence. Or vendredi 11 juillet, en marge d'une conférence de presse consacrée à Gaza, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a déclaré qu'il était catégoriquement opposé à la création d'un Etat palestinien souverain. Un accès de franchise rare, signalé par le site d'information Times of Israel, mais passé sous silence dans les médias occidentaux. En l'absence d'un tel horizon, l'armée israélienne peut déjà réfléchir au nom de code de la prochaine opération contre Gaza.